L'Echo de Vernier, section théâtrale : le Théâtre de Vernier
Vernier, au début du siècle, c’est une petite commune de la campagne genevoise, loin de la ville et de son brouhaha. Comme souvent à cette époque, la chorale du village se met à égayer ses soirées avec quelque piécette dramatique. Quatre-vingts ans plus tard, comme la localité qui l’abrite, la petite troupe a grandi, en importance comme en qualité. Fort d’une véritable tradition issue de ces longues années d’activité, I' Echo de Vernier est devenu l’un des fleurons du théâtre amateur genevois et même romand. Mais laissons donc son président, Albert Morard, nous narrer les péripéties de sa troupe qui a aujourd'hui plus de quatre-vingts printemps.
En ce temps-là, nos églises résonnaient des échos mélodieux engendrés par le chœur paroissial protestant de Vernier-Meyrin. Hélas, des fausses notes vinrent perturber les accords parfaits de nos chanteurs et des “tritons” emmenèrent à hue et à dia le char de l'“amer”. (Rappelons qu’en musique, le triton est considéré comme le diable. Il en résulta bien sûr de l’amertume et des dissensions, si bien que ce groupe vola en éclats (de voix, naturellement).
Une partie des ex-chanteurs - ceux qui étaient intéressés par le théâtre - créa le Groupe Littéraire de Vernier, qui cessa son activité en 1939. L’autre partie fonda un groupe choral qui prit le nom d’‘Echo de Vernier”. Nous étions en 1920. Titillés par cette naissance, les membres du Groupe Littéraire décidèrent de pratiquer également le chant et leur société devint immédiatement le” Groupe Littéraire et Musical de Vernier.
'Non, mais' , modulèrent alors les chanteurs de l'Echo de Vernier. Et, sous l’impulsion d’Henri Peney, ils s’empressèrent aussitôt d’adjoindre le Théâtre d’amateurs â leurs activités. C’est dire que, dès son origine, il a fallu que la troupe fasse preuve d’audace et d’originalité afin de s’imposer car ces deux groupes concurrents créèrent une saine et profitable émulation.
Et tout de suite, en 1920 donc, l’Echo de Vernier ajouta à son spectacle musical une prestation théâtrale : “La cigale chez les fourmis”. Dès l’année suivante, sous la direction du jeune Jo Baeriswil (ce nom évoquera peut-être des souvenirs chez les plus anciens), la troupe monta des spectacles comprenant musique, théâtre et danse (Jaques Dalcroze n’est pas loin !). A cette époque, les acteurs devaient obligatoirement être chanteurs de la chorale. La première exception fut consentie en 1947, lorsque Charles Pellet rejoignit la troupe. L’obliger à chanter eut en effet entraîné la gangrène de toute harmonie dans les prestations musicales.
En 1958, l’arrivée de Gilbert Lipp comme metteur en scène donna un élan définitif à l’équipe théâtrale qui vola dès lors de ses propres ailes et dont les interprètes n’étaient plus du tout chanteurs.f
Mais c’est en 1966, avec l’apparition de René Habib que le Théâtre de Vernier va connaître sa véritable affirmation.
En effet, pour marquer ses quarante-cinq ans d’existence (comment? en 1966, cela fait 46 ans - Allons, allons,
![]() |
René Habib |
ne chipotons pas !), I’ Echo de Vernier fait appel au (dentiste)-acteur-homme de radio et de théâtre. Ayant pris grand plaisir à ce travail et décelant, comme il l’a dit, des comédiens avec des dons certains, il s’attacha à cette équipe à laquelle il consacra une bonne partie de sa vie. Durant vingt ans, il va modeler, former, ciseler, éduquer, affiner, cimenter une troupe qui n’attendait que ce Pygmalion.
Il trouve en Charles Held, directeur de la chorale dès 1962, un compère prêt à toutes les audaces et dont les compétences musicales égalaient son talent théâtral, Ils inculquèrent aux exécutants une grande conscience professionnelle et lui léguèrent exigence et rigueur dans le travail. Dès lors, le Théâtre de Vernier fit régulièrement appel à des metteurs en scène professionnels ou semi-professionnels, tous directeurs de plateau au bénéfice d’une formation et d’une expérience solides et indiscutables. Et c’est dans cette optique de la poursuite d’un travail de qualité qu’il s’efforce de prolonger son chemin.
En l’an 2000, la société fêta ses quatre-vingts ans...
Une commune, une troupe
“Echo de Vernier”, “Théâtre de Vernier”. Sans aucun doute, la société et sa troupe théâtrale s’identifient à la commune où elles sont nées et où elles poursuivent leurs activités. Les conditions ont changé au cours de toutes ces années, mais la société a su s’adapter et se recycler.
La commune de Vernier fut cédée par la France à Genève par le Traité de Paris du 20 novembre 1815. Ses habitants sont les Verniolans. Cent ans plus tard, Vernier comprend trois gros villages : Vernier, Châtelaine et Aire. Les distractions sont rares et quelques sociétés locales drainent dans leurs rangs celles et ceux qui sont à la recherche d’activités de choix : Le spectacle annuel est un événement pour tout le monde. C’est, bien sûr, dans le boum qui suivit la dernière guerre mondiale que les conditions vont profondément évoluer. Des industries s’installent sur le sol communal, les villages deviennent bourgs et, puisqu’il y a des espaces, vont pousser deux cités satellites: Le Lignon (années 60) et les Avanchets (années 70). L’activité des sociétés s’intensifie et ce sera l’âge d’or. La première salle communale, inaugurée en 1912 et construite avec le bâtiment scolaire de dix classes, servira de salle de réunion et de gymnastique,. Le dimanche 3 juillet 1955, la nouvelle école et salle communale, édifiées en complément et amélioration des bâtiments existants, sont inaugurées, avec la participation de l’Echo de Vernier. Lors de la construction de la cité du Lignon, une autre salle polyvalente voit le jour et ce sont les acteurs du Théâtre du Lignon qui vont animer sa scène. L’Echo reste fidèle à la salle communale de Vernier-Village.
En 1971, lors de la rentrée scolaire, est inaugurée la Salle des Ranches, notre lieu de théâtre actuel. Il y a là des circonstances qui valent sans doute d’être contées rapidement. A la fin des années soixante, sous l’effet de la poussée démographique, la commune doit construire un nouveau groupe scolaire. L’un de nos membres, notre décorateur François Capt, travaille comme architecte dans l’entreprise chargée de cette réalisation. Par hasard, au cours d’une réunion informelle, il parle de la possibilité qu’il y aurait de créer une scène en reculant de quelques mètres le mur qui doit supporter l’écran de cinéma. Ce plateau pourrait accueillir spectacles, présidences de séances administratives, leçons d’éducation routière ou du service du feu, fêtes organisées par l’école, etc. Monsieur Albert-Henri Widmer, conseiller administratif en charge des bâtiments, trouve l’idée séduisante et c’est ainsi que par un trait de génie et quelques “dollars” de plus, est né le théâtre des Ranches.
On voit que la vie de la troupe est rivée à la vie de la commune où elle est née, que sa présence y est constante et ancrée dans la tradition. C’est vrai. Le seul aléa à relever, aussi surprenant que cela puisse paraître è certains, est que le Théâtre de Vernier n’est pas patronné par le Service culturel de la commune. Ce qui fait que si une manifestation ayant le soutien de ce service a lieu en même temps qu’une prestation de la troupe, cette dernière n’est plus assurée de pouvoir bénéficier du prêt du matériel mis à disposition des sociétés communales. Et ce peut être l'angoisse ! Il a toujours été possible de se retourner grâce à l’aide d’amis efficaces, mais ce n’est pas forcément agréable. Nul doute d’ailleurs que cette situation ne puisse s’améliorer.
D’autre part, en plus de la salle de spectacles et d’une aide en équipement, la commune met à notre disposition un local de répétitions, un atelier de décors et un soutien pécuniaire de fonctionnement. Nous pouvons aussi solliciter le journal communal “Informations-Vernier” pour des communiqués et bénéficions de l’aide de “Canal 29”, la télévision câblée de la commune.
Oui, on peut écrire: “Une commune - une troupe”.
Le répertoire
![]() |
Aliénor (Gustave Doret) 1975 |
Si, au moment de fêter les nonante ans de la société, on jette un regard en arrière, il apparaît nettement que l’orientation littéraire et dramaturgique de la troupe a connu deux périodes bien distinctes : les spectacles de la tranche 1920 - 1960 avaient un caractère très communal, très convivial et populaire. Mais, avec l’engagement de metteurs en scène professionnels , semi-professionnels, le répertoire a pris une connotation de théâtre urbain, subissant sans doute aussi l’influence d’un bourg qui, avec ses cités satellites, a accédé au rang d’une ville de 30000 habitants. Cette irrésistible évolution a également apporté une grande variété d’offres de divertissement Pour survivre, le Théâtre de Vernier a dû s’adapter et offrir des spectacles qui tiennent l’affiche. Notre système de production se limitant à une seule prestation par année, nous devons, si possible, choisir des œuvres qui ne seront pas présentées ailleurs dans le canton, qui ne viendront pas en tournées étrangères. Nous devons varier notre offre d’une année à l’autre, proposer une série de représentations assez large car le spectateur potentiel ne peut pas être partout à la fois et simultanément à deux endroits. D’où une exigence de qualité qui réclame un investissement important, aussi bien en temps de travail qu’en contribution financière, Il est aussi impératif que nous rentrions dans nos frais car nous assumons toutes les charges. Au cours de ses quarante premières années, la troupe avait à son programme soit une première partie chorale et une seconde moitié théâtrale, soit une œuvre du genre “Festspiel” qui mêlait chant-danse-théâtre, soit encore l’organisation d’un festival qui groupait chorales, fanfares, théâtres. On peut ainsi relever, en 1921, “Le lac de Mongeron” (5 actes, 8 tableaux, 4 danses): en 1932 : “Mauprat”, de George Sand (5 actes et 6 tableaux), “L’Arlésienne” en 1933 (3 actes, 5 tableaux, chœurs et orchestre), la Fête de la Fédération musicale de Genève en 1938; en 1946, la société participait, à Lausanne, au VIe concours romand de la FSSTA et jouait “Les Folies amoureuses” (3 actes comiques de J-F. Regnard); en 1949, elle était partie prenante dans l’organisation du 7e concours de la FSSTA et présentait “On ne saurait penser à tout” d’Alfred de Musset, “Pays du Lac” en 1955, jeu scénique avec chœur, danse, récitants et, la même année, “Le Malade imaginaire”; en 1958, elle menait le dixième concours de la FSSTA avec une pièce imposée : “Permettez - Madame” de Labiche et enfin, en 1959, c’était “Le Silence de la Terre”, de Samuel Chevalier et Robert Mermoud, 15 tableaux avec chœurs et la participation de 20 comédiens.
![]() |
'Edmée' (1981) |
C’est alors que, sous l’impulsion de Gilbert Lipp et de René Habib, la section théâtrale va vivre sa propre vie, s’unissant à la chorale pour fêter certains anniversaires. 45 ans : “La Servante d’Evolène”; 50 ans: “L’Opéra de quat’ sous”: 55 ans “Aliénor”; 60 ans, reprise de “Pays du Lac”. Mais aussi, pour les 150 ans de l’entrée de Genève dans la Confédération, “Judith Couronne”, une création de Daniel Anet pour le livret et de Michel Wiblé pour la musique: “Un Chapeau de Paille d’Italie” en 1967; “L’Homme qui allait à Götterwald” du Belge David Scheinert (une création), une œuvre géniale mais mal perçue du public: “Un Otage” en 1976 (24 interprètes); “Les Cavaliers” d’Aristophane (1978): “Les Joyeuses Commères de Windsor” interprétées en plein air (1994): “Le Menteur”, de Corneille (1996). Et n’oublions pas, pour l’an 2000, “Henri IV” de Luigi Pirandello. Quelques interventions à des Congrès de la FSSTA: “Genousie” d’Obaldia (1973), “Le commissaire est bon enfant” de Labiche (1980), “Le Café”, de Carlo Goldoni (1999). Suivront "lLes fausses confidences" de Marivaux (2001), "Les physiciens" de Dürenmatt (2002), "Mesure pour Mesure" de Shakespaere (2003), "Arsenic et vieilles dentelles de Kesserling (2004), "Oncle Vania" de Tchekhov (2005), "La grande Roue" de Vaclav Havel (2006), "Le suicidé" de Nicolaï Erdman, "Les Brumes de Manchester" de Frédéric Dard (2008), "Dom Juan" de Molière (2009)
Pour terminer, disons que, dans l’idéal, nous travaillons selon ce schéma : avril-mai : choix d’un pièce; mai-juin : arrêt de la distribution et premières lectures; été: mémorisation; septembre-décembre : travail des scènes; janvier-février : répétitions sur le plateau, et mars : 16 représentations.
Tout ceci est rendu possible grâce à une équipe de base solide et polyvalente, des amitiés précieuses, des appuis multiples, un public fidèle.
Albert Morard - Marco Polli (comnplété Patricia Picchiottino 2009)